Les
Grands poètes.
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Poèmes
de Victor Hugo
1802 -
1885
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Demain,
dès l'aube...
Demain,
dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai.
Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai
par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne
puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai
les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien
voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul,
inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste,
et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai
ni l'or du soir qui tombe,
Ni les
voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand
j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet
de houx vert et de bruyère en fleur.
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Ecrit au bas d'un crucifix
Vous qui pleurez, venez à
ce Dieu, car il pleure.
Vous qui souffrez, venez à
lui, car il guérit.
Vous qui tremblez, venez à
lui, car il sourit.
Vous qui passez, venez à
lui, car il demeure.
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Fonction du poète
(extrait)
Peuples ! écoutez le poète
!
Ecoutez le rêveur sacré
!
Dans votre nuit, sans lui complète,
Lui seul a le front éclairé.
Des temps futurs perçant
les ombres,
Lui seul distingue en leurs
flancs sombres
Le germe qui n'est pas éclos.
Homme, il est doux comme une
femme.
Dieu parle à voix basse
à son âme
Comme aux forêts et comme
aux flots.
C'est lui qui, malgré
les épines,
L'envie et la dérision,
Marche, courbé dans vos
ruines,
Ramassant la tradition.
De la tradition féconde
Sort tout ce qui couvre le monde,
Tout ce que le ciel peut bénir.
Toute idée, humaine ou
divine,
Qui prend le passé pour
racine
A pour feuillage l'avenir.
Il rayonne ! il jette sa flamme
Sur l'éternelle vérité
!
Il la fait resplendir pour l'âme
D'une merveilleuse clarté.
Il inonde de sa lumière
Ville et désert, Louvre
et chaumière,
Et les plaines et les hauteurs
;
À tous d'en haut il la
dévoile ;
Car la poésie est l'étoile
Qui mène à Dieu
rois et pasteurs !
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Heureux l'homme occupé
...
Heureux l'homme, occupé
de l'éternel destin,
Qui, tel qu'un voyageur qui
part de grand matin,
Se réveille, l'esprit
rempli de rêverie,
Et, dès l'aube du jour,
se met à lire et prie !
A mesure qu'il lit, le jour
vient lentement
Et se fait dans son âme
ainsi qu'au firmament.
Il voit distinctement, à
cette clarté blême,
Des choses dans sa chambre et
d'autres en lui-même ;
Tout dort dans la maison; il
est seul, il le croit ;
Et, cependant, fermant leur
bouche de leur doigt,
Derrière lui, tandis
que l'extase l'enivre,
Les anges souriants se penchent
sur son livre.
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Hier,
la nuit d'été, qui nous prêtait ses voiles
Hier, la
nuit d'été, qui nous prêtait ses voiles,
Etait
digne de toi, tant elle avait d'étoiles !
Tant son
calme était frais ! tant son souffle était doux !
Tant elle
éteignait bien ses rumeurs apaisées !
Tant elle
répandait d'amoureuses rosées
Sur les
fleurs et sur nous !
Moi, j'étais
devant toi, plein de joie et de flamme,
Car tu
me regardais avec toute ton âme !
J'admirais
la beauté dont ton front se revêt.
Et sans
même qu'un mot révélât ta pensée,
La tendre
rêverie en ton coeur commencée
Dans mon
coeur s'achevait !
Et je bénissais
Dieu, dont la grâce infinie
Sur la
nuit et sur toi jeta tant d'harmonie,
Qui, pour
me rendre calme et pour me rendre heureux,
Vous fit,
la nuit et toi, si belles et si pures,
Si pleines
de rayons, de parfums, de murmures,
Si douces
toutes deux !
Oh oui,
bénissons Dieu dans notre foi profonde !
C'est
lui qui fit ton âme et qui créa le monde !
Lui qui
charme mon coeur ! lui qui ravit mes yeux !
C'est
lui que je retrouve au fond de tout mystère !
C'est
lui qui fait briller ton regard sur la terre
Comme
l'étoile aux cieux !
C'est Dieu
qui mit l'amour au bout de toute chose,
L'amour
en qui tout vit, l'amour sur qui tout pose !
C'est
Dieu qui fait la nuit plus belle que le jour.
C'est
Dieu qui sur ton corps, ma jeune souveraine,
A versé
la beauté, comme une coupe pleine,
Et dans
mon coeur l'amour !
Laisse-toi
donc aimer ! - Oh ! l'amour, c'est la vie.
C'est
tout ce qu'on regrette et tout ce qu'on envie
Quand
on voit sa jeunesse au couchant décliner.
Sans lui
rien n'est complet, sans lui rien ne rayonne.
La beauté
c'est le front, l'amour c'est la couronne :
Laisse-toi
couronner !
Ce qui
remplit une âme, hélas ! tu peux m'en croire,
Ce n'est
pas un peu d'or, ni même un peu de gloire,
Poussière
que l'orgueil rapporte des combats,
Ni l'ambition
folle, occupée aux chimères,
Qui ronge
tristement les écorces amères
Des choses
d'ici-bas ;
Non, il
lui faut, vois-tu, l'hymen de deux pensées,
Les soupirs
étouffés, les mains longtemps pressées,
Le baiser,
parfum pur, enivrante liqueur,
Et tout
ce qu'un regard dans un regard peut lire,
Et toutes
les chansons de cette douce lyre
Qu'on
appelle le coeur !
Il n'est
rien sous le ciel qui n'ait sa loi secrète,
Son lieu
cher et choisi, son abri, sa retraite,
Où
mille instincts profonds nous fixent nuit et jour ;
Le pêcheur
a la barque où l'espoir l'accompagne,
Les cygnes
ont le lac, les aigles la montagne,
Les âmes
ont l'amour !
21 mai
1833
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