Les Grands poètes.
Poèmes de Victor Hugo
1802 - 1885 
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J'aime un petit enfant, et je suis un vieux fou.

J'aime un petit enfant, et je suis un vieux fou.
- Grand-père ? - Quoi ? - Je veux m'en aller. - Aller où ? 
- Où je voudrai. - Partons. - Je veux rester, grand-père. 
- Restons. - Grand-père ? - Quoi ? - Pleuvra-t-il ? - Non, j'espère.
- Je veux qu'il pleuve, moi. - Pourquoi ? - Pour faire un peu 
Pousser mon haricot dans mon jardin. - C'est Dieu 
Qui fait la pluie. - Eh bien, je veux que Dieu la fasse.
- Mais s'il ne voulait pas ? - Moi, je veux. Si je casse 
Mon joujou, le bon Dieu ne peut pas m'empêcher. 
Ainsi... - C'est juste. Il va peut-être se fâcher, 
Mais passons-nous de lui. - Pour qu'il pleuve ? - Sans doute. 
Viens, prenons l'arrosoir du jardinier Jacquot, 
Et nous ferons pleuvoir. - Où ? - Sur ton haricot.

Je prendrai par la main les deux petits enfants 

Je prendrai par la main les deux petits enfants ; 
J'aime les bois où sont les chevreuils et les faons, 
Où les cerfs tachetés suivent les biches blanches 
Et se dressent dans l'ombre effrayés par les branches ; 
Car les fauves sont pleins d'une telle vapeur 
Que le frais tremblement des feuilles leur fait peur. 
Les arbres ont cela de profond qu'ils vous montrent 
Que l'éden seul est vrai, que les coeurs s'y rencontrent, 
Et que, hors les amours et les nids, tout est vain ; 
Théocrite souvent dans le hallier divin 
Crut entendre marcher doucement la ménade. 
C'est là que je ferai ma lente promenade 
Avec les deux marmots. J'entendrai tour à tour 
Ce que Georges conseille à Jeanne, doux amour, 
Et ce que Jeanne enseigne à George. En patriarche 
Que mènent les enfants, je réglerai ma marche 
Sur le temps que prendront leurs jeux et leurs repas, 
Et sur la petitesse aimable de leurs pas. 
Ils cueilleront des fleurs, ils mangeront des mûres. 
Ô vaste apaisement des forêts ! ô murmures ! 
Avril vient calmer tout, venant tout embaumer. 
Je n'ai point d'autre affaire ici-bas que d'aimer.

Jeunes gens, prenez garde aux choses que vous dites

Jeunes gens, prenez garde aux choses que vous dites.
Tout peut sortir d'un mot qu'en passant vous perdîtes.
Tout, la haine et le deuil ! - Et ne m'objectez pas 
Que vos amis sont sûrs et que vous parlez bas... -
Ecoutez bien ceci :

Tête-à-tête, en pantoufle,
Portes closes, chez vous, sans un témoin qui souffle,
Vous dites à l'oreille au plus mystérieux
De vos amis de coeur, ou, si vous l'aimez mieux,
Vous murmurez tout seul, croyant presque vous taire, 
Dans le fond d'une cave à trente pieds sous terre,
Un mot désagréable à quelque individu ;
Ce mot que vous croyez que l'on n'a pas entendu,
Que vous disiez si bas dans un lieu sourd et sombre,
Court à peine lâché, part, bondit, sort de l'ombre !
Tenez, il est dehors ! Il connaît son chemin.
Il marche, il a deux pieds, un bâton à la main,
De bons souliers ferrés, un passeport en règle ;
- Au besoin, il prendrait des ailes, comme l'aigle ! -
Il vous échappe, il fuit, rien ne l'arrêtera.
Il suit le quai, franchit la place, et caetera,
Passe l'eau sans bateau dans la saison des crues,
Et va, tout à travers un dédale de rues,
Droit chez l'individu dont vous avez parlé.
Il sait le numéro, l'étage ; il a la clé,
Il monte l'escalier, ouvre la porte, passe, 
Entre, arrive, et, railleur, regardant l'homme en face, 
Dit : - Me voilà ! je sors de la bouche d'un tel. -

Et c'est fait. Vous avez un ennemi mortel.

Mes deux filles

Dans le frais clair-obscur du soir charmant qui tombe,
L'une pareille au cygne et l'autre à la colombe,
Belle, et toutes deux joyeuses, ô douceur !
Voyez, la grande soeur et la petite soeur
Sont assises au seuil du jardin, et sur elles
Un bouquet d'oeillets blancs aux longues tiges frêles,
Dans une urne de marbre agité par le vent,
Se penche, et les regarde, immobile et vivant,
Et frissonne dans l'ombre, et semble, au bord du vase,
Un vol de papillons arrêté dans l'extase.

Veni, vidi, vixi

J'ai bien assez vécu, puisque dans mes douleurs 
Je marche, sans trouver de bras qui me secourent,
Puisque je ris à peine aux enfants qui m'entourent,
Puisque je ne suis plus réjoui par les fleurs ;

Puisqu'au printemps, quand Dieu met la nature en fête,
J'assiste, esprit sans joie, à ce splendide amour ;
Puisque je suis à l'heure où l'homme fuit le jour,
Hélas ! et sent de tout la tristesse secrète ;

Puisque l'espoir serein dans mon âme est vaincu ;
Puisqu'en cette saison des parfums et des roses,
Ô ma fille ! j'aspire à l'ombre où tu reposes,
Puisque mon coeur est mort, j'ai bien assez vécu.

Je n'ai pas refusé ma tâche sur la terre. 
Mon sillon ? Le voilà. Ma gerbe ? La voici. 
J'ai vécu souriant, toujours plus adouci,
Debout, mais incliné du côté du mystère.

J'ai fait ce que j'ai pu ; j'ai servi, j'ai veillé,
Et j'ai vu bien souvent qu'on riait de ma peine.
Je me suis étonné d'être un objet de haine,
Ayant beaucoup souffert et beaucoup travaillé.

Dans ce bagne terrestre où ne s'ouvre aucune aile,
Sans me plaindre, saignant, et tombant sur les mains,
Morne, épuisé, raillé par les forçats humains,
J'ai porté mon chaînon de la chaîne éternelle.

Maintenant, mon regard ne s'ouvre qu'à demi ;
Je ne me tourne plus même quand on me nomme ; 
Je suis plein de stupeur et d'ennui, comme un homme
Qui se lève avant l'aube et qui n'a pas dormi.

Je ne daigne plus même, en ma sombre paresse,
Répondre à l'envieux dont la bouche me nuit.
Ô Seigneur, ! ouvrez-moi les portes de la nuit,
Afin que je m'en aille et que je disparaisse !

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